Entretien avec
Stanislas
Dans le numéro 5 de Kaboom (mai-juillet 2014) paraissait une interview de Stanislas. Il m'avait reçu chez lui en début d'année, alors qu'il terminait le deuxième tome du "Perroquet des Batignolles", sorti en librairies il y a quelques jours.
L'entretien avait été tronqué, faute de place dans la revue. On peut désormais découvrir ici les quelques considérations qui suivent à propos des machines et de leur poésie.
Théophile Gautier dit
qu’il ne peut y avoir de beau que ce qui ne sert à rien, et que tout ce qui est
utile est laid. Il précise au passage que l’endroit le plus utile d’une maison,
ce sont les latrines…
Et des décennies plus tard, Marcel Duchamp fera de sa
pissotière un objet d’art ! Voici ce que dit Toutinox au début des Objets du XXème siècle : « quelques
objets dignes d’intérêt issus de fantastiques aventures humaines ». Derrière
ces inventions, il y a l’être humain. Comme l’écrit Jules Verne, il viendra un
moment où les créations de la science dépasseront celles de l’imagination. Le
livre commence par Picard avec ses boules d’aluminium et d’acier : grâce à
une boule d’aluminium toute légère, on va pouvoir atteindre la stratosphère,
tandis que les fonds sous-marins seront accessibles à l’exploration avec la
même boule, mais en acier. Il y a une recherche de l’absolu dans tout cela.
D’ailleurs, dans un film d’Alain Resnais que j’ai beaucoup aimé et qui
s’appelle Je t’aime, je t’aime, on
voit un médecin qui a un crayon comme celui-là (il en prend un dans une boîte devant lui) et il dit « prenez
ce crayon, et essayez le regarder avec l’œil martien ». L’idée de l’œil
martien, c’est du Marcel Duchamp, encore. Ce ne devient plus un crayon, mais un
long cylindre en bois avec à l’intérieur un matériau autre, du graphite, pointu
à une extrémité, plat à l’autre… Si l’on s’amuse à faire cela avec n’importe
quel objet, on fait du Marcel Duchamp et des readymades. Quand l’objet a une
utilité, c’est encore plus beau.
Tout à fait, et je reprends certaines de ces machines dans
une des histoires que je réalise en ce moment pour Lapin. Elle s’appellera « Le Redresseur ». C’est hélas un
peu ce que je vis au quotidien : l’histoire d’un gars au bout du rouleau,
cuit, fatigué, plus de jus, plus d’étincelle, plus rien. Quand ça m’arrive,
j’aimerais bien me faire une piqûre de je ne sais quoi pour retrouver l’énergie
ou une certaine jeunesse, une flamme qui a parfois tendance à s’affaiblir. Et
donc un type dans sa petite banlieue est confronté à ce sentiment, mais en
mille fois pire. Il a vu une publicité dans les journaux pour le
« redresseur », une machine qui redonne une super pêche, mais en
échange de quoi il doit payer de quelques années de sa vie. Le genre de contrat
faustien qui ne peut que jouer un mauvais tour. Cette grosse machine me
permettra de réinventer le redresseur ionique à vapeur de mercure, que j’adore.
Je l’ai vu en vrai dans une expo au Grand Palais sur le design, il y a plus de
dix ans : un truc énorme ! Et puis rien que ce nom à rallonge avec
mercure, ionique, vapeur, c’est tout un poème !
À côté de Jacobs, Stanislas a dessiné son propre grand-père, Jean Barthélémy... |
Et pour le savant qui montre cette invention à Jacobs, j’ai
dessiné mon grand-père. Il travaillait dans une grosse entreprise qui
fabriquait des appareils électriques, des pièces de locomotives, des machins
comme ça, mais aussi des redresseurs ioniques.
Mais à quoi sert cet
appareil ?
C’était à l’époque où l’électricité n’était pas continue
comme aujourd’hui, et il fallait toujours des redresseurs ou des ondulateurs,
notamment dans le métro parisien. Il y avait des stations électriques un peu
partout dans Paris, des bâtiments magnifiques, tout en briques. Ils sont
toujours là.
Encore cette idée de
régulation et d’adaptation, comme beaucoup de vos personnages qui cherchent à
s’adapter à la réalité…
Comme moi-même !
(Cliquez sur l'image pour lire la critique de La Ronde des canards sur le site de Chro)
Merci à Stanislas Barthélémy
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